reportage

De nouveau, le Flow Festival d’Helsinki a envoyé du lourd, du très lourd, offrant aux 83 000 spectateurs un line-up de grandes stars internationales et de musiques plus pointues. Tous les styles étaient représentés, du rap à l’électro, en passant par le jazz, le R&B, la world musique et le rock. Avec 170 artistes, autant dire que la sélection proposée par l’Oreille à l’envers est tout sauf exhaustive et objective ! Alors prêts pour le détail de ces 3 jours de folie ? (Flow Festival – 9 au 11 Août 2019 – Helsinki – Finlande) (Report par Gwenaëlle Bauvois))

Vendredi 9 Août
Le premier jour de Flow commence sous le soleil et une foule joyeuse se presse aux portes du festival le plus attendu de Finlande. Le choix qui nous est offert a de quoi faire tourner la tête et il faut faire des choix cornéliens…

Je commence donc en beauté avec Ville Valo & Agents. Pour ceux qui ne connaissent pas Ville Valo, il fut le chanteur du célèbre groupe de gothic metal finlandais HIM, ayant connu son heure de gloire, notamment avec leur album Love Metal en 2014. Icône dans son pays et bien au delà, Valo a opéré un changement de style radical en reprenant des chansons de Rauli « Badding » Somerjoki, mort en 1987, le tout avec le groupe original Agents. Une sorte de mélange de rock et de schlager (iskelmä en finnois) des années 70-80. Autant dire une sacrée prise de risque musicale mais qui connaît un succès incroyable en Finlande où les chansons de Somerjoki sont des classiques. La foule était au rendez-vous (tous les concerts à Helsinki se sont joués à guichets fermés) et scandait les paroles avec Valo. Qu’on connaisse ou pas ces chansons (à peu près incompréhensibles pour les étrangers, il faut l’avouer…), quel bonheur de voir et d’entendre Valo, avec sa voix toujours aussi profonde et suave.

J’enchaine avec un tout autre style, Earl Sweatshirt, le rappeur de LA. Membre du collectif hip-hop Odd Future formé par Tyler The Creator, et qui comprend également Frank Ocean (vu à Flow il y a deux ans dans un show mémorable). Sweatshirt envoie du rap plutôt expérimental, sans concession et punchy. Sur album j’écouterais avec une certaine parcimonie mais en live, le plaisir est indéniable.

Je continue avec du rap mais finlandais cette fois ci, Ibe, qui a réunit une (très) jeune foule enthousiaste qui reprenait les paroles en coeur. Oserais-je dire qu’après Earl Sweatshirt, cela parait un peu fade ? Oui, voilà c’est dit…

Le reste de la soirée a été un vrai feu d’artifice avec à la suite trois grandes représentantes du RnB, neo soul et hip hop international. Tout d’abord, la seule et unique Eryka Badu, qui arrive terriblement en retard d’une demi heure mais qui est pardonnée car c’est la Queen Badu. Encore plus en retard était Laureen Hill l’année dernière mais pas de pardon car elle n’était pas du tout à la hauteur pour le coup…. A regarder Badu, régalienne et intense, on se dit que beaucoup de chanteuses actuelles lui doivent énormément… Le charisme et la présence scénique de Badu fascinent. J’ai même aperçu Earl Sweatshirt près de la scène, complètement sous le charme.

Transition toute faite après Badu, Neneh Cherry, rayonnante du haut de ses 55 ans (ca ne nous rajeunit ps…). Elle commence par Manchild, autant dire un blast from the past. Le retour en grâce de Cherry fait plaisir à voir, elle semblait sincèrement heureuse d’être à Flow, un de ses festivals préférés précise-t-elle, elle y est venu il y a 2 ans pour écouter Frank Ocean (à raison). Un show plein de chaleur qui donne le sourire.

Et pour couronner cette soirée toute en RnB soul féminin, Solange qui a remplacé Cardi B au pied levé. Franchement, on applaudit des deux mains cet opportun changement de programme. Niveau classe, on n’est pas vraiment la même catégorie, même si nous avons eu droit à de beaux moments de twerking (mais pas de la part de Solange). Je ne savais pas trop à quoi m’attendre live mais Solange nous a régalé d’un vrai vrai show à l’américaine, dans le bon sens du terme. Tout y est léché et impeccable avec des choristes et des danseurs réglés au millimètre. Tout dans le concert de Solange est visuellement beau et graphique (il n’est pas étonnant qu’elle ait joué dans plusieurs grands musées américains), la chanteuse s’est révélée absolument magnifique à écouter et à regarder. Elle a joué principalement les chansons de ses deux derniers albums, qui sont il faut l’avouer les meilleurs, notamment A Seat at the Table (2016) au son ambitieux et travaillé. Bien sûr, un des clous du concert a été Losing you, coécrit et coproduit avec Blood Orange, un vrai bijou. Malheureusement le concert s’est terminé sur une fausse note, en effet à minuit, à cause des régulations de la ville d’Helsinki, le son a été littéralement coupé… Solange et son groupe ont continué à jouer avec le sourire malgré tout. Elle aurait pu faire la diva mais au contraire s’est excusée, affirmant avoir pris tellement de plaisir à chanter qu’elle n’a pas su s’arrêter. La classe.

Samedi 10 Août
Samedi, je commence sur les chapeaux de roues avec Pond, groupe australien originaire de Perth, l’un des centres musicaux australiens. Leur batteur, Kevin Parker, part en 2011 pour rejoindre le groupe… Tame Impala, dont il devient le chanteur et leader. Mais sont restés amis et Parker a même produit les derniers albums de Pond. On retrouve chez Pond un son et une atmosphère assez semblable à Tame Impala avec leur rock psychédélique survitaminé, pour notre plus grand bonheur.

La chanteuse soul pop suédoise-gambienne, Seinabo Sey, a un potentiel international indéniable. Très belle voix et charme sont au rendez-vous mais il faut avouer qu’avoir vu la veille Badu et Cherry, on la trouve encore un peu verte…

Tout autre style, Nubya Garcia, compositrice et saxophoniste londonienne avec son jazz afro aux accents caribéens. Un saxo, une contrebasse, un batteur, un keyboard et le tour est joué pour faire bouger la formidable Balloon Stage, où l’on a une vue à 180 degrés. Elle est la nouvelle génération du jazz du haut de ses 27 ans et je défie quiconque de résister à ses envolées.

On opère de nouveau un virage pour aller vers la pop electro dance de la chanteuse finlandaise phénomène Alma, la fille reconnaissable à ses cheveux jaunes fluos. Un concert un peu spécial pour cette habituée de Flow, car Alma y a joué en exclusivité les chansons de son tout premier album Have you seen her?. Un album très attendu, enregistré à Los Angeles, avec des collaborations avec Lykke Li et Charli XCX, excusez du peu ! Même si Alma a déjà connu un grand succès avec plusieurs de ses singles dont « Karma », « Dye My Hair » et « Chasing Highs ». Elle a également déjà collaboré avec Tove Lo, Martin Solveig, et a coécrit des chansons pour Miley Cyrus. Impressionnant pour une fille de 23 ans d’une petite ville de Finlande ! A la base, j’avoue que ce n’est pas trop mon genre de musique (même si je connais plusieurs de ses morceaux) mais je suis assez bufflée par sa présence scénique et sa musique est beaucoup plus rock et sombre qu’il n’y paraît. Alma a ce petit truc en plus, et on comprend mieux l’intérêt que les médias lui ont porté ces derniers temps. D’ailleurs de nombreux journalistes et photographes étrangers étaient sur place, ce qui est souvent un signe. Et pour être franche, cela fait du bien de voir une fille qui ne ressemble pas aux poupées pop siliconées et formatées.

Je cours vers l’un des concerts les plus attendus : Blood Orange. Comment décrire Dev Hynes ? Il est chanteur-auteur-compositeur, multi-instrumentiste et producteur génial, pour ses propres projets mais aussi pour les autres, tels que Solange, Sky Ferreira, FKA twigs, Haim, Florence and the Machine, The Chemical Brothers, Kylie Minogue, A$AP Rocky, Blondie et même Mariah Carey ! Avec déjà 5 disques sous le nom de Blood Orange, Hynes s’est imposé comme artiste solo avec un des meilleurs RnB actuels (c’est juste mon humble avis…). Sa musique est élégante, mélancolique, envoûtante, et cette voix, oh cette voix… Un des meilleurs concerts de cette édition 2019, haut la main.

Une des têtes d’affiche de la scène principale, le groupe australien de rock psychédélique Tame Impala. Disons le clairement, un des meilleurs groupes de rock de ces dernières années. Les premières notes du superbe Let it Happen donnent littéralement le frisson et quand la chanson atteint son apogée, voilà qu’un canon à confettis submerge la foule. Cela a fait son petit effet, c’est le moins que l’on puisse dire. Et là s’enchaine les morceaux, tous plus bons les uns que les autres, dont leur redoutable dernier single Borderline. Certains esprits chagrins disent que leurs shows sont trop routiniers mais le souvenir de leur rythmes hypnotiques associés aux lumières lasers, au ciel d’été et à la douceur de l’air restera mémorable.

Déjà la barre était très haute après Tame Impala mais j’enchaine avec une mes chéries devant l’éternel :Robyn, la reine de la pop électro suédoise. Robyn nous revient (enfin) avec Honey, 9 ans après sa phénoménale trilogie Boby talk, un album plus sombre inspiré par son divorce et la mort de son collaborateur Christian Falk. Elle y a collaboré avec Peter Mount de Metronomy, et grand bien lui a pris.

Cette fille, qui a refusé à 15 ans un énorme contrat américain pour garder sa liberté artistique (déçue la maison de disque a cherché un autre gamine, elle s’appelait Britney Spears…), a su se construire une carrière sans compromission et exigeante. Pas si légère et pop qu’il y paraît, il y a chez Robyn une intensité et une profondeur qui touchent – sa performance ne fait que confirmer cette sensation. On ressent épidermiquement une tension, allégée de moments de pure joie qui se manifestent dans une libération totale du corps. Quand la foule a chanté à l’unisson le refrain de Call your girlfriend, frissons garantis. Un des meilleurs shows de toute l’histoire de Flow, d’après le grand quotidien national finlandais. Je confirme.

Dimanche 11 Août
La dernière journée commence sur une toute autre note avec le roi de la clarinette turc Cüneyt Sepetci. C’est la beauté de Flow, écouter un artiste qu’on n’aurait jamais eu l’idée d’aller écouter et adorer. Un pur plaisir de découverte.

J’enchaine avec le duo electro de légende Modeselektor, constitué de Gernot Bronsert et Sebastian Szary. Les deux berlinois font également partie du groupe Moderat, en collaboration avec Apparat. Moderat avait d’ailleurs déjà enflammé Flow en 2017 pour un des meilleurs concerts de musique électro auquel j’ai eu la chance d’assister. Autant dire que le niveau était très haut.

Je m’arrache à regret à Modeselektor pour écouter quelques chansons de Mitski, pateaugant dans les flaques d’eau pour prendre quelques clichés. Auteure-compositrice-interprète nippo-américaine, Mitski tourne sur ma playlist depuis quelque temps déjà. Avec 5 albums à son actif, elle s’est fait connaître pour un rock ‘fille à guitare’ comme première partie des Pixies par exemple. Mais c’est avec Be the cowboy en 2017 qu’elle reçoit les accolades de la critique internationale, avec une pop toute en finesse. C’est une musique subtile qui fait son chemin jusqu’à ce que la belle voix de Mitski s’imprime dans notre mémoire pour y rester. Son show était étrangement très chorégraphié avec Mitski dansant très lascivement autour d’une chaise et d’une table…

Un des concerts que j’attendais avec le plus d’impatience, et pas seulement moi : Father John Misty ou J.Tillman. Ce chanteur-auteur-compositeur-batteur-guitariste américain a joué dans un nombre incalculable de groupes, dont Fleet Foxes (qui nous avaient régalé à Flow l’année dernière) et a déjà à son actif 12 albums solo, sous ses deux patronymes, et 4 nominations aux Grammys, notamment pour I love you Honeybear en 2016. Sa voix est aussi belle en live que sur album.Mais sa musique se prête plus à une salle intime qu’à la scène principale d’un festival en plein air. Il envoie même une petite blague au public qui ne bouge pas beaucoup à son goût : “Moi aussi j’aime The Cure mais bon allez, les gars !”. C’est vrai, dur de passer juste avant The Cure. Malgré tout, lle charme a opéré car le charme c’est bien ce qu’il a revendre, le Père John Misty.

Tove Lo a donné un show très calibré, en tenue cuir rock et sexy, devant une foule jeune qui hurlait à tout rompre. La chanteuse suédoise qui a connu le succès international avec le remix de sa chanson Stay high (habits), a également écrit pour d’autres artistes, tels que Lorde ou Ellie Goulding. Peut-être est-ce d’avoir vu la formidable Robyn la veille, mais la prestation Tove Lo m’a laissé un peu sur ma faim et m’a paru un peu fade.

Bon, ben il faut avouer que j’avais les mains qui tremblaient d’être face aux Cure, et l’envie de me pincer pour y croire vraiment. C’est un peu surréaliste d’être à 2 des mètres d’une icône telle que Robert Smith. Alors musicalement, est-ce que ca tient encore la route? Question idiote ! Mais bien sûr ! The Cure a joué près de deux heures et demi ! Un vrai marathon de 29 chansons d’un peu toutes les époques. La voix de Smith n’a pas bougé d’un iota, ni son look d’ailleurs. On est à la fois enchanté et un peu hébété d’être face à ce groupe de légende. Suis-je vraiment en train d’écouter The Cure ? Dire que ca restera un grand moment est un doux euphémisme.

Comme il y a encore une vie après The Cure, je me dirige vers le concert d’une artiste qui m’était complètement inconnue : Flohio, qui se révéla une des plus belles surprises du festival. La rappeuse britanno-nigérienne de 25 ans originaire du Sud de Londres, a littéralement enflammé la Balloon Stage, plutôt réservée à des musiques plus “douces” (c’est la première fois que j’y vois le public secouer les barrières en hurlant). Elle est percutante, elle saute, se jette au sol (d’où l’impossibilité de prendre une photo nette…), harangue le public avec son débit de mitraillette et lui crie des ‘je t’aime’. A deux, avec son DJ, ils font un bruit d’enfer et la foule hurle et se débat. Une vraie force de la nature. Sa musique est sauvage, sans concession mais ouverte, elle a même collaboré avec Modeselektor sur leur dernier album, elle a d’ailleurs fait une featuring sur scène avec le duo berlinois.


Et pour terminer en beauté ce cru 2019, James Blake. L’anglais qui a collaboré avec des artistes tels que Bon Iver, Kendrick Lamar, Beyoncé et Frank Ocean, est salué par la critique depuis son premier album solo en 2011. La tente était pleine à craquer et Blake lui-même semblait presque étonné de voir autant de monde connaissant ses chansons par coeur et applaudissant à tout rompre. Assez impressionnant qu’un jeune mec quasiment tout seul, à l’allure timide et ordinaire (pas de costumes à paillettes ni de confettis ici), puisse remplir un si grand lieu avec un son aussi puissant, allant de la douce balade aux sons électriques les plus vibrants. On dirait presque que sa célébrité lui est tombé dessus malgré lui, comme quoi des fois juste un vrai talent suffit, sans fioriture. Une belle manière de mettre un point final à ces trois jours riches en émotions. Le rendez-vous est déjà pris pour l’année prochaine ! Näkemiin Flow !
(Article et photos par Gwénaëlle Bauvois)

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