interview
Quelques mots avec l’artiste (interview écrite et audio) à l’occasion de son concert du 9 Décembre 2021 à Victoire2 (Saint-Jean-de-Védas)
Les chansons sont déjà écrites, on va retourner à Austin dans le même studio où l’on avait enregistré « We Shouldn’t Talk About It » en duo avec Emily Gimble qui était sorti en digital, on avait tellement aimé l’expérience là bas qu’on va y retourner. Trois mois pour Thibault le guitariste et moi et tout le groupe en un mois, on va essayer de tout donner.
Qui va produire ces sessions ?
Billy Orthon qui est le bassiste de Jimmie Vaughan. Il est aussi ingénieur du son, il enregistre et produit pleins d’artistes de la scène locale de Austin. C’est l’homme de la situation, je pense.
Tu t’es entouré d’une équipe de musiciens chevronnés, ce qui rend ta musique encore plus authentique. Comment s’est fait cette rencontre avec Julien Bouyssou, Bastien Cabezon ? Exception pour Thibault Ripault qui était présent sur le premier album.
J’ai rencontré Bastien, Thibault et Julien au même moment, ils faisaient partie d’un groupe à Bordeaux The Possums, j’avais flashé sur leur compositions, Thibault écrivait ses chansons et chantait dans le groupe, dans un coin de ma tête ça correspondait à une période où j’avais envie de changer de répertoire, de faire une musique plus proche de celle que j’affectionne, une musique plus personnelle et j’avais pleins de chansons qui n’attendaient qu’à être joués par ces musiciens.
Thibault est venu se greffer avant car il y avait une place qui s’était libérée, cette transition s’est accompagnée d’un changement de répertoire, pourquoi ne pas jouer avec ses musiciens préférés.
Avec Olivier le bassiste qui est présent depuis 10 ans, on a traversé toute cette période ensemble.
Les sessions de Toerag seront elles publiées sous la forme d’un disque ?
À la base on y est allés pour faire des vidéos car on en manquait et c’est un studio qui m’obsédait depuis longtemps, notamment à cause des disques qui étaient enregistrés là bas dont « Elephant » des White Stripes qui est un disque important pour moi.
On avait pas prévu d’en faire un disque, mais pas mal de gens nous ont posé cette question et ça m’a donné envie d’y retourner plutôt que de sortir ces vidéo en disque, mais pourquoi pas un jour.
Je suis content de ces sessions, c’est une belle photo de ce qu’était le groupe à ce moment là il y a deux ans maintenant, il y a des titres qu’on a pas sorti en disque.
C’est sur la liste des idées du prochain album. C’est plus proche de ce qu’on joue maintenant, j’avais envie de montrer comment on joue naturellement. La pâte sonore de Liam Watson y est pour beaucoup, l’atmosphère que son studio dégage, ça influence beaucoup la musique. Ce sont des endroits qui ont une véritable identité, le groupe s’adapte au studio. C’est ce son que je recherche, il n’y a pas beaucoup de gens qui font ce travail à savoir cultiver cette sonorité.
En général, c’est assez mondialisé et formaté, là c’est l’inverse, tu perds pas de temps à chercher le son, lui l’a déjà.
(©polaroid-Franck Irle)
Si j’ai bien compris ta démarche, tu aimerais enregistrer un album qui sonne live, est-ce la prochaine étape envisagée en studio ?
Oui carrément, c’est possible d’enregistrer en live, sans que ça soit du grand n’importe quoi, dans le sens que parfois quand on se contente de jouer un morceau de manière spontanée sans se prendre la tête, c’est pas pour autant que ça sonne bien, en général c’est même l’inverse, on pense que ça va marcher quand on est en répète ou en concert, ça se transpose mal au contexte d’enregistrement, pour différentes raisons, la substance de la chanson est perdue quelque part.
Pour jouer un morceau ensemble live, et que cette magie se retranscrive dans l’enregistrement, c’est un peu comme une photo, tu vas avoir un très beau paysage que tu vas photographier, et en fait le résultat obtenu ne représente rien.
Pour l’enregistrement, c’est pareil, tu as peut être un beau studio, de bonnes chansons et c’est pas parce que tu mets des micros devant que tu vas saisir la pleine mesure de la qualité. J’ai envie de faire un album enregistré comme les gens faisaient à l’époque, c’est la seule manière de préserver la substance de cette musique, comme une session live, mais ça ne se fait pas n’importe comment, ça peut paraître arrangé, anarchique, mais pour que ça fonctionne, ce n’est pas si simple qu’il y parait et ça pose pleins de questions.
Justement tu disais vouloir atteindre une certaine forme d’indépendance dans ta musique ?
Notamment par rapport à cette frustration que parfois on peut avoir en studio, la personne qui nous enregistre ne comprend pas ce qu’on essaie de faire et c’est normal, puisqu’elle ne nous connait pas. J’aimerais être plus en contrôle sur cela et ne pas laisser ça au hasard.
Sauce piquante, avec Mark Neill ça s’est plutôt bien passé
Oui, pareil c’est le même genre d’endroit, on est allés là bas parce qu’il y avait ce son là, et on a obtenu ce qu’on cherchait. C’était plus sophistiqué, plus précieux dans l’approche, que les sessions Toerag et ça se ressent complètement.
Il y a avait une part de secret, Mark faisait dans son coin comme pour préserver ce son
On était un peu plus sur la réserve, on avait moins l’habitude de jouer ensemble, ça faisait que deux mois qu’on pratiquait ensemble, quand on fait l’album, on a fait seulement deux répètes, c’était vraiment nouveau pour nous, on se découvraient aussi.
Maintenant après 3 ans, on a peaufiné notre sonorité, on a développé une synergie, plus de groove, on sait mieux où on va désormais. Avec le prochain album, j’aimerais bien capturer ça en tout cas.
À quand le prochain album ?
Il faudrait idéalement qu’il y ait un titre qui sorte avant l’été, si tout se passe bien, et l’album à la rentrée. En général il y a toujours des imprévus.
Depuis le succès du titre « Heaven to Me », tu as complètement changé de direction musicale, comment expliques-tu cela ?
À l’époque de « Heaven to Me », la musique que je fais aujourd’hui et ses influences étaient déjà présentes, j’avais déjà cette multiplicité d’influences, l’explication la plus plausible, c’est qu’à l’age de 19 ans, tout va très vite et change rapidement, tu fais tout à fond en étant convaincu de ce que tu fais, c’est pas pour autant que tu ne cherches pas une autre direction, c’était une révérence à tout ce que j’écoutais aussi, j’ai essayé d’autres costumes pour voir ce qui me plaisait le mieux.
Mine de rien, avant « Heaven to Me », avec mes groupes sur Paris, on avait fait peu de tournées, on avait pas l’expérience d’un groupe pro qui tourne tout le temps. La première chaussure que j’avais essayé n’était pas forcément celle qui m’allait le mieux. Ces dernières années, j’ai essayé de trouver le truc dans lequel je me sentais le plus légitime et aussi le médium créatif pour exprimer ce que je suis. Je ne renie pas pour autant ce qu’on a fait avant.
Ta musique renoue avec la culture du vinyle, comment vois tu justement cet engouement pour la musique matérialisée ?
D’un très bon oeil, c’est avec ce support que j’ai découvert cette musique. Quand j’étais au collège, j’achetais des disques, même si j’en avais pas beaucoup, ça m’a fait aimé plus fort de nombreux artistes.
Aujourd’hui, j’écoute énormément de musique avec Spotify, ça me fait découvrir pleins de choses, mais le rapport est différent, je m’attache pas de la manière à la pochette, aux crédits derrière, à qui joue dessus. Plus le monde renouera avec le support physique plus je serais content. Je me suis habitué à la musique en stream.
Tes compositions sont un métissage de plusieurs univers inspirés de la musique populaire américaine (Country, Cajun, Rythm’n’Blues), ne crains tu pas d’être apparenté uniquement à ce courant musical ?
J’ai l’impression d’être influencé par plusieurs univers, plusieurs courants musicaux en fait, j’ai déjà du mal, entre guillemets, à me tenir à une seule approche, j’ai pas l’impression que le problème est de m’apparenter à un seul courant musical, mais plutôt à trop, j’ai envie de me resserrer, de trouver mon son, ma manière de chanter.
C’est le point commun avec tous les artistes que j’aime, c’est justement qu’ils font un truc et qu’ils s’y tiennent et pour avoir le courage de faire ça, faut savoir qui on est artistiquement.
On sent que tu te détaches des influences héritées des artistes que tu affectionnes, mais aussi des attentes de ton public, cette indépendance favorise-t-elle justement le processus de composition ?
J’ai l’impression qu’avec le temps je me déleste des attentes de mon public, pourtant que je fais bien de la musique pour les gens, mais en me focalisant sur ce que j’aime faire. J’espère que je trouverais mon public, et pas inversement, c’est à dire ne pas penser à ça quand je fais ma musique, sinon c’est le meilleur moyen de ne plaire à personne en voulant plaire à tout le monde.
C’est un moyen de me libérer complètement au niveau de l’écriture, la seule voie que j’écoute est celle qui me correspond, et je suis pas en train de me dire qu’il faut avoir des considérations de séduction. Je suis conscient que la musique que j’aime n’est pas le courant dominant en France qui est mon pays, je connais comment les gens réagissent à ma musique en concert et ce n’est pas toujours facile, je vois bien à quoi le public réagit, et c’est pas forcément en correspondance avec ce que j’ai envie de faire. C’est là que la question du compromis se pose. Je n’aurais aucune satisfaction à plaire à des gens grâce à quelque chose que je n’approuve pas à 100 %.
Par le passé, il y a des moments où je pense j’étais dans la mauvaise direction, quand tu commences et qu’on te donne une chance, et que les gens te donnent de l’attention, t’as peur de passer à coté de ton train, tu te dis » si je ne plais pas maintenant, je ne pourrais pas vivre de ma musique » un peu comme au lycée comme quand tu ne sais pas t’orienter, quand t’as peur de te lancer dans la musique. J’étais dans ce mode de fonctionnement, ne pas trop déplaire, et au final, c’est pas comme ça que ça marche, il faut avoir justement le droit de pouvoir s’en foutre, de se dire si tu fais ce que tu aimes, les gens seront là aussi pour les bonnes raisons.
Pour avoir eu quelques expériences de tournée à l’étranger, je vois que les réactions changent radicalement en fonction du style et de la culture du pays qui entrent en résonance avec celle des gens. Ce qu’on fait ne correspond pas forcément aux attentes du public en France, c’est un défi en quelque sorte.
Quels sont les artistes avec lesquels tu aimerais collaborer dans le futur ?
Est-ce la même chose d’aimer un artiste et de vouloir collaborer avec ? Il n’y en pas beaucoup, il y a JD McPherson, Luke Winslow King, j’ai toujours été très friand des productions de Dan Auerbach, les musiciens avec qui il travaille. C’est toujours compliqué de collaborer avec des gens qui chantent et qui composent des chansons, il n’y pas forcément de place pour chacun. c’est plus des musiciens, des producteurs avec qui j’ai envie de collaborer plutôt que des song-writers, c’est difficile d’aménager, à la rigueur un duo, ça pose des problématiques.
En France j’ai toujours voulu collaborer avec Don Cavalli, ça fait longtemps que je suis en contact avec lui, on s’envoie régulièrement de la musique, j’aimerais bien enregistrer un titre à lui sur le prochain album.
Dans quel pays as-tu trouvé le plus de proximité ?
À Austin, justement, j’avais l’impression d’être au siège social de la musique qu’on fait, c’est comme si tu vas à Milan étudier la Haute-Couture. Tu es là où ça se fait, tout prend son sens, tout le monde comprend ce que tu essaies de proposer.
C’est bien d’avoir des luttes et des résistances ailleurs, ça te pousse à chercher autre part tes ressources. Et surtout, quand tu es là à jouer où la musique a été créée c’est très gratifiant.
(interview réalisée par Franck Irle)
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