interview

Le Goût de la Ville , une forme artistique en cours de création portée par Mwano, Zoranne Serrano et Janoé Vulbeau à destination des jeunes publics, pleinement dédiée aux questions liées aux quartiers populaires : la rénovation urbaine, la réappropriation de l’espace urbain par ses habitants et les phénomènes d’exclusion et de gentrification. Un spectacle-portrait poétique des villes d’aujourd’hui avec une succession d’impressions et de témoignages d’habitants de tous âges et milieux sociaux, et de paysages tantôt rappés ou chantés, tantôt dansés à découvrir ! À l’occasion du Crossroads, rencontre avec Mwano, rappeur et beatmaker sur cet événement présenté en avant-première ce vendredi 11 septembre de 14h30 à 15h30 ! (©photo : Cultur All)

Pouvez-vous présenter votre parcours ? Vous venez d’où ? Comment tout a commencé ? Quelles ont été les principales étapes et rencontres fondatrices de votre projet jusqu’à aujourd’hui ?

J’ai commencé le rap très tôt, vers l’âge de 12 ans, au début des années 2000. Depuis, je n’ai jamais arrêté. J’aimais cette musique, elle parlait directement à mes tripes, ce « boum bap » incessant, je l’avais dans la tête. Donc j’ai écrit, beaucoup, enregistré des cassettes pourries dans ma chambre, j’ai commencé à créer des beats avec un logiciel sur PlayStation, Music 2000, tu pouvais sampler des trucs donc j’allais fouiller dans les disques de mon père et je faisais mes petites boucles. J’ai fait mes premiers concerts quand je suis arrivé à Lille, à 18/19 ans, y’avait quelques scènes ouvertes à l’époque mais beaucoup moins de concerts de rap qu’aujourd’hui, c’était encore un peu mal vu.

Je viens d’Abbeville dans la Somme, c’est bien paumé donc je connaissais pas de rappeurs, pas de deejays, j’étais un peu solo, sans équipe, et là j’ai rencontré des personnes de la Générale d’Imaginaire, qui m’ont proposé de participer à des petits spectacles ou d’animer des scènes ouvertes, puis des ateliers d’écriture. C’est devenu mon métier « officiel » il y a maintenant trois ans.

J’ai eu plusieurs groupes dont les principaux sont Mouche (avec Mystraw de PLDG) et HyBird (avec Sharky de Scratchattic et Renoizer), j’ai sorti 3 projets (« Mouche » en 2015, « Entre Sel et Sucre » avec Renoizer et Sharky en 2016 et « Social Krash » avec HyBird en 2018) et là je suis sur mon premier album solo, qui va sortir prochainement. A coté de ça, j’ai écrit et interprété mon premier spectacle jeune public, Les Fables de Jean de les Egouts (avec Lexie-T et Olivine Véla), on a pas mal tourné entre 2015 et 2018.

Et là, je suis sur la fin de création du Goût de la Ville, avec Zoranne et Janoé.

Pouvez-vous me parler de votre rencontre et de la conception du spectacle Le Goût de la Ville ?

Nous sommes trois sur le plateau : Mwano, rappeur et beatmaker, Janoé, sociologue et danseur hip-hop et Zoranne, danseuse contemporaine. Janoé et Mwano se sont rencontrés en animant un atelier rap/danse avec un centre social de la région.

Mwano avait depuis longtemps l’idée de créer un spectacle mélangeant plusieurs disciplines et traitant des questions des quartiers populaires et de l’univers citadin en général.

Janoé faisant une thèse sur la ville de Roubaix, il a pu apporter une matière historique et une dimension sociologique au spectacle. Avec l’expérience de danseuse contemporaine et les idées scénographiques de Zoranne, le spectacle « Vi(d)e-Quartiers » est né. Cette première version, beaucoup plus sombre et épurée, sera adaptée pour le tout public et deviendra par la suite « Le goût de la ville », fresque sonore et chorégraphique, forme hybride entre danse, concert et conférence.

L’arrivée de Juliette Galamez à la mise en scène a davantage assis l’univers visuel du spectacle, où les projections de photos d’archives dénichées par Janoé sur les cartons de déménagement se mélangent avec les chorégraphies tous azimuts de Zoranne et les chansons imagées et franches de Mwano, qui signe également la composition des instrumentales, à l’exception du morceau Grise, composé par Renoizer.

Quelle place occupe la musique dans votre quotidien ? Ressentez-vous la pratique musicale comme un « besoin vital », un moyen d’échapper un peu du quotidien, un désir d’exprimer votre être… ?

Je fais de la musique presque tous les jours. J’en écoute aussi beaucoup, moins que je voudrais mais quand même pas mal. Je ne sais pas si ça me permet d’échapper à mon quotidien, je pense plutôt que ça permet de mettre des sons et des mots sur ce que je peux vivre au quotidien, justement.

J’essaie de retranscrire dans mes chansons tous les doutes et les émotions, hélas souvent négatives, que m’inspire le monde dans lequel je vis. Mais c’est vrai que parfois ça peut être aussi un moyen de s’oublier dans le son et rejoindre un délire assez proche de l’ivresse. Il y a plusieurs cas de figure, ça dépend du contexte, j’imagine.

Parlons de votre professionnalisation : quels en ont été les déclencheurs ? Avez-vous rencontré des difficultés dans le cadre de cette professionnalisation ? Des aides et des rencontres en particulier vous ont-elles permis d’y croire et d’avancer ?

Il est très difficile de vivre de sa musique. J’ai beaucoup d’ami-e-s qui ont plein de talent mais qui galèrent et qui ont un travail à côté de leur pratique musicale. Je suis intermittent du spectacle depuis 3 ans maintenant et, comme on le sait, en ce moment, c’est pas une période facile. Mais j’ai la chance d’être membre de la Générale d’Imaginaire, une structure lilloise qui produit des spectacles et des actions culturelles d’envergure. Si je n’avais pas croisé la Générale sur mon chemin, il est peu probable que ce soit devenu mon métier aujourd’hui.

Je ne vis pas de mes concerts mais des spectacles que j’écris et dans lesquels je joue, qui mélangent souvent les disciplines, car j’aime découvrir d’autres pratiques artistiques et me confronter à des domaines que je connais moins mais qui m’intéressent énormément, comme le théâtre, la vidéo ou la danse.

Les initiatives comme le Crossroads, ça représente une aide précieuse ?

Le Crossroads est pour nous l’occasion de montrer notre spectacle, qui n’est pas encore terminé mais qui approche de la « réalisation finale », à des professionnels du secteur. Même si c’est un peu particulier cette année, covid oblige, on a eu la chance de faire une captation du spectacle avec une équipe super cool et très compétente. C’était physique et assez impressionnant mais je pense qu’on a fait du bon boulot.

Et quel a été l’impact de la crise sanitaire sur vos activités ? Avez-vous ressenti la nécessité de repenser votre mode de fonctionnement, d’aborder et de tester de nouvelles pistes pour vous faire connaître ou vous développer ?

Me concernant, j’ai toujours privilégié la scène à la musique enregistrée. J’ai sorti tous mes projets en autoproduction ou grâce à des crownfundings et ils ne me rapportent pas grand-chose. Je viens tout juste de m’inscrire à la SACEM, haha. Et puis je suis assez nul pour tout ce qui est réseaux sociaux, j’y suis, bien sûr, parce que sinon malheureusement aujourd’hui tu n’existes pas, mais j’ai du mal à jouer le jeu et à poster des trucs régulièrement. Je sais pas, va falloir que je m’y mette. Et faire plus de clips aussi, aujourd’hui, si tu veux de la visibilité, il faut de l’image, des vidéos, du live… Mais je suis pas forcément ultra à l’aise avec ça donc les lives sur Instagram et tout ça, je sais pas, on verra.

En tout cas, vu les conditions des concerts avec le covid, ça va être dur de faire sans, je pense. En ce qui concerne Le Goût de la Ville, on a eu la chance de voir toutes nos résidences de travail maintenues et on a pu continuer à bosser sur le spectacle.

Nos dates de 2021 sont pour l’instant également maintenues, on croise les doigts. Et puis en solo j’ai quelques dates, des petits concerts en extérieur ou dans des petits lieux, qui devraient être maintenus aussi. En tout cas, on est solidaires avec tous les potes techniciens ou artistes qui se retrouvent en galère, et à toutes celles et tous ceux que la situation tourmente, ils et elles sont nombreux. Force à elles et eux.

Enfin, quelle est votre actualité et avez-vous un dernier mot à ajouter pour conclure cette échange ?

Les premières dates du Goût de la Ville arrivent début 2021, à partir de février, à Lille, à Beauvais, à Tours, à Dijon, etc… On espère en trouver encore d’autres d’ici là. On a vraiment envie que le spectacle tourne.

Quant à moi, je prépare un album solo qui devrait sortir avant la fin de l’année.

Texte et interprétation : Mwano (Simon Demolder). Danse : Zoranne Serrano et Janoé Vulbeau. Musique : Mwano et Renoizer. Mise en scène : Juliette Galamez. Ecoute extérieur rap et musique : ARM.

Production : La Générale d’Imaginaire. Production déléguée : La Cave aux Poètes, Scène conventionnée d’intérêt national – Art et Création (Roubaix). Coproduction : Le Flow – Centre Eurorégional des Cultures Urbaines (Lille), Le Temps Machine – Scène de Musiques Actuelles (Joué-lès-tours), La Vapeur – Scène de Musiques Actuelles (Dijon).

Le Goût de la Ville a reçu le soutien du Collectif Jeune Public Hauts-de-France dans le cadre du dispositif C’est Pour Bientôt, ainsi que de la SACEM dans le cadre du dispositif Salles Mômes et de l’aide à la production.

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