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Un pays sous le joug d’une dictature au pouvoir depuis bientôt 50 ans où la liberté d’expression n’a pas mot dire. Bienvenue en Birmanie, rebaptisée Union du Myanmar par la junte en 1988 , où, selon la devise, « le bonheur se trouve dans une vie harmonieusement disciplinée ». Et sous l’écorce rude de la répression, il est un peuple qui rêve, aime et s’entraide.

« Rangoon Cocoon / Promesses Birmanes » reportage réalisé par Anne Murat, cinéaste documentaire et Brice Richard, photographe, rend hommage au peuple Birman, débordant de vie, d’envies, de créativité et d’espoir.

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Soixante six interviews, plus de quarante heures de vidéo, quinze mille photos pour partir à la découverte des écoles monastiques, des ONG locales, mais également des magazines populaires en émergence et l’essor de l’art et des cultures actuelles.

Alors, qu’en est-il de la scène musicale Birmane, notamment à Rangoun , la plus grande ville et ancienne capitale du pays ? Un grand merci à Anne Murat et Brice Richard pour cet article !
(NB : les noms figurant dans le texte (noms de personnes, de lieux) sont des faux noms pour préserver l’anonymat des interlocuteurs )

Rock the Burmese
La Birmanie évoque plus aisément l’image d’un moine en prières que celle d’une rock star en concert. Et pourtant, cela fait trente ans que la scène rock de Rangoun bouillonne.

Certes, elle n’était à ses premières heures qu’un divertissement de luxe pour les rejetons de l’élite (fils de généraux et riches hommes d’affaires), constituée d’une poignée de groupes légendaires comme Emperor, Big Bag mais surtout Iron Cross, dont les initiales « IC » suffisent à faire vibrer les foules… Mais sous l’impulsion du piratage de masse, la nouvelle scène musicale s’est peu à peu invitée dans les foyers plus modestes. On peut se procurer n’importe où dans les villes une copie des derniers albums en vogue, pour un euro environ (soit 1000-1500 kyats, une somme qui n’est pas encore à portée de tous).


Iron Cross : A Thit GaBar Tho (source Youtube)

Rangoun, l’éclosion
Signe du changement des mœurs et du succès grandissant du rock, de la pop et plus récemment du hip hop, une multitude de petits groupes amateurs tentent aujourd’hui de se faire un nom sur la scène musicale de Rangoun. « Il y a quelques années, il n’y avait que 4 ou 5 chanteurs pop en Birmanie. On en compte actuellement près d’une centaine » raconte Fireboy, organisateur de concerts rock et hip hop. « Le niveau général s’améliore et il y a de plus en plus de studios« .

myowMyow Aung, chanteur du groupe Hip Hop « Green Plant » (©photo : Brice Richard)

Quantité n’est cependant pas gage de qualité. L’immense majorité des groupes de rock à Rangoun se contente de plagier les tubes occidentaux, chantant en birman sur des airs de Madonna, Bryan Adams, Céline Dion ou Van Halen.

Alors que la J-pop Japonaise, le punk chinois et Bollywood ont su se réapproprier les grandes tendances de la rock/pop internationale, la Birmanie n’a pas encore trouvé une voix, un style qui lui est propre. De nombreux artistes et producteurs se désolent de ce manque de créativité : « Nous avons peu de groupes originaux ici » constate Myint Naing, propriétaire d’un bar / salle de concert dans le centre de Rangoun. « Ils copient tous la musique occidentale, car ils veulent gagner de l’argent. Contrairement à la peinture, la musique est un véritable business en Birmanie« .


KyetPha and Jenny : A Chay A Tin (source Youtube)

C’est le manque de moyens qui, aussi sûrement que la censure, étouffe la créativité birmane soulignent les musiciens. Dans un pays miné par la pauvreté et le sous-développement, les possibilités de pratiquer et vivre de son art sont maigres. Les investisseurs privés et publics sont quasi inexistants, la population sans le sou et les infrastructures archaïques.

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Iron Cross et Htoo Ein Thin : Ma Har WI Ya O Buddha

Selon Fireboy, le producteur, même les chanteurs les plus connus ont du mal à organiser des concerts. Il n’y a tout simplement pas assez d’argent. La situation a récemment empiré avec la généralisation du piratage, une aubaine pour le public birman mais un véritable casse-tête pour les rares maisons de productions du pays qui, en l’absence d’une loi sur la propriété intellectuelle, ne disposent d’aucun recours en justice. En raison de la multiplication des ordinateurs personnels à Rangoun et Mandalay, n’importe qui peut mettre sur le marché des copies illégales d’albums et de films. Moins d’une heure après la sortie d’un nouveau CD, la version piratée est déjà sur les étals. Quoiqu’exacerbées par la pauvreté du pays, les difficultés financières des musiciens au Birmanie se retrouvent partout ailleurs.

Alors, en quoi le pays se distingue-t-il ? « C’est l’indigence de son éducation artistique et son isolement diplomatique et culturel » répond Soe Khaing. En Birmanie, les deux seules universités à enseigner la musique s’appuient essentiellement sur l’imitation des grands maîtres et des grands styles, dédaignant l’improvisation et la composition. Dans un entretien au Myanmar Times, en août 2005, Ko Du, fondateur de l’Académie d’Art Musical de Rangoun, dressait déjà l’accablant portrait d’une tradition éducative passive qui forme selon lui des générations de « Birmans peu enclins à essayer des choses nouvelles. » En ce sens, l’école de musique Thanlwin fondée en 2003 par Joyce Mill et Soe Khaing fait figure de notable exception.

pianothanlwinPianiste de l’école de musique de Thanlwin (©photo : Brice Richard)

Au « Pays Merveilleux », un hâvre de libertés…
Perdue dans la grande banlieue de Rangoun, au beau milieu d’un bidonville boueux, Thanlwin dispense des cours de guitare, de piano, de violoncelle, de techniques vocales et – rareté des raretés – des cours de composition. Les étudiants organisent plusieurs fois par an des concerts où se mêlent jazz, musique classique et chant à capella. Le dernier en date, à l’hôtel Strand, a rassemblé près de 1000 personnes.

Pour exposer les jeunes musiciens à d’autres styles et d’autres approches de la création, Thanlwin non seulement invite des musiciens étrangers à tenir des ateliers et des concerts, mais envoie les élèves les plus talentueux faire leurs études tous frais payés à l’université Mahidol de Bangkok. En 2007, la chorale de l’école s’est même rendue aux Etats-Unis pour une tournée triomphale à travers le pays…

« La musique donne une âme à nos coeurs et des ailes à la pensée » disait Platon, les birmans l’ont bien compris.


La Chorale de Thanlwin chante le tube américain « It’s all right » de Curtis Mayfield (©vidéo : Anne Murat)

Les auteurs de Rangoon Cocoon

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Anne Murat
Titulaire d’un diplôme européen en Langues étrangères et d’un master de Sciences Po Paris (2003), Anne débute sa carrière au CNC avant de se consacrer à la réalisation. Outre des films institutionnels et du montage pour la télévision, elle a réalisé un long métrage sur le devenir d’une troupe de théâtre ainsi que des reportages sur la vie quotidienne en Asie et en Afrique.Résolument tournée vers les rencontres humaines, l’approche documentaire relève pour elle d’une exigence : témoigner du réel avec sensibilité et sincérité. Une quête professionnelle autant que personnelle.
Contacts:
Web : http://www.annemurat.net

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Brice Richard
Brice a démarré sa carrière de photographe en Chine par un premier reportage sur l’épidémie du SRAS à Shanghaï. Deux expositions suivront, traitant des conditions de travail des mineurs et des migrants chinois. Diplômé de Sciences Po Paris et Johns Hopkins SAIS, Brice a rejoint la Banque Mondiale en 2006 en tant qu’économiste et photographe. Envoyé par la Banque en photoreportage en Inde, il sillona le pays de 2006 à 2009 à la rencontre des paysans et des laissés pour compte. Les images obtenues ont donné lieu à une exposition à Washington DC.

Contacts :
Mail : rbbrichard@gmail.com
Web : http://www.flickr.com/streetcorner

-> Site Rangoon Cocoon : http://www.rangooncocoon.com
-> Viméo : http://vimeo.com
-> L’ Envol (Battements d’ailes de Papillons Birmans) / Portraits du Peuple Birman : http://www.blurb.fr/b/1053472-rangoon-cocoon
-> Article paru dans Libération « Être jeune sous la junte »: http://www.liberation.fr

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