chronique

EIFFEL
/ Album Stupor Machine
/ sortie le 26 avril 2019

// 7 ans. L’âge de raison pour certain, le cap craint dans une relation pour d’autres. Pour les Ahuris (titre que s’attribuent de façon très officielle les fans d’Eiffel), une attente qui se voit hautement récompensée avec ce retour aux sources qu’est Stupor Machine.
 
On pourrait penser que la chronique d’un groupe français est plus aisée pour l’auteur qui se prête à l’exercice – au moins, on comprend les paroles ! – entend-je déjà de la bouche des allergiques à la langue de la perfide Albion (ils se reconnaitront). Et bien c’est justement le contraire et l’exercice est d’autant plus ardu quand il s’agit des textes du plus talentueux auteur-compositeur du petit monde du rock français, Romain Humeau.
 
Eiffel est le seul groupe français que je sois en mesure de chroniquer (mon dada étant porté sur le rock aux accents shakespearien). Notre histoire a d’ailleurs débuté lors d’une rencontre fortuite quand suite à la sortie d’Abricotine, le groupe bordelais se produisait en première partie d’un groupe power-pop américain qui était alors très « Popular ». A 21 ans et forte de convictions musicales toutes aussi prétentieuses que candides, Eiffel de son rock tortueux et lyrique est venu déboulonner mon petit monde musical particulièrement ancré outre-atlantique.
 
 
Stupor Machine fait suite à Foule Monstre, qui en 2012 a présenté une nouvelle facette d’Eiffel : extrêmement bien écrit, cet album a été le cadre de multiples collaborations (Brigitte Fontaine, Bertand Cantat entre autres) et a offert une musique plus mainstream, d’où les gros succès radio de titres comme Le même train ou Place de mon coeur. La pause bien méritée du groupe a permis à Romain Humeau de présenter un travail solo plus léger, plus personnel mais tout aussi efficace.
 
Dès lors, aux premières notes de ce Stupor Machine, une certitude se rappelle à nous : Eiffel est rock, et son quatuor s’exprime d’autant mieux au travers de riffs de guitare profonds, de batterie survoltée et de ce piano racé qui vient apporter la touche mélodieuse et subtile à l’ensemble.
 
Les titres sont le fruit mûr à souhait de cette plume toujours audacieuse qu’est celle de Romain Humeau. Son maniement des mots, des images, cette richesse de références à notre société du tout numérique, à la littérature noble, aux politiciens d’ici et d’ailleurs, ce sens de l’observation de tout ce qui nous entoure … De Big Data qui nous fiche en plein visage nos contradictions dans notre relation au tout instantané, aux écrans que l’on aime tant détester mais auxquels nous sommes enchainés, à Manchurian Candidate qui énumère ce qui résulte de notre sacro-saint système démocratique, la mise en parallèle est digne d’une des meilleures causeries de Noam Chomsky. Néanmoins, et comme à l’accoutumée, Eiffel ne se revendique pas comme un groupe contestataire, étendard de telle cause ou de telle couleur de veston. Le groupe se contente de nous exposer sa propre réflexion, ne nous l’impose jamais à coup de leçon de morale ou d’injonctions à faire ceci ou cela.
 
 
La majorité des titres relèvent d’un état des lieux pas vraiment folichon. Miragine, qui jongle de façon brillante avec les lettres tel un Georges Perec du meilleur cru, nous rappelle qu’entre les politiciens, le climat et les idoles de pacotilles, notre monde est assez mal fichu. Pêcheur Pêcheur évoque le sujet toujours brûlant du dogme religieux et de ses dérives, Escampette fait un sacré pied de nez à l’industrie musicale dont on sait qu’on ne peut pas encore se passer pour promouvoir les artistes décemment. Quant à Oui, elle est l’écho, la suite donnée à l’hymne qu’est devenu A tout moment la rue. Cette rue maintenant dit oui au détriment d’un collectif qui se fait discordant, et face à la toute puissance de vendeurs de pommes valorisant des outils de confort qu’il nous faut consommer en toute individualité.
 
Mais, tout n’est pas que fureur et chaos, et l’album nous offre quelques perles de poésie pure, d’odes à l’amour saupoudrées de quelques notes d’espoir avec Chasse Spleen, Chocho et Terminus. Ici, Romain Humeau nous éblouit tant il arrive à construire des univers oniriques et mélancoliques à l’aide de mots si simples. Rien n’est pompeux ni niais, les références sont riches et inspirées, la mélodie est tout simplement belle.
 
 
18 ans se sont écoulés depuis Abricotine. Pour celles et ceux qui comme moi ont débuté ce millénaire du haut de leurs 20 ans, s’être nourri des disques d’Eiffel n’a pu que vous aider à vous construire une identité musicale exigeante. La découverte d’un de leur album est comme partir à l’aventure : le chemin n’est pas aussi accessible qu’il y paraît. Non pas que l’on ne puisse simplement aimer ce que l’on écoute, mais chaque titre dissimulant un petit trésor d’écriture, on aurait vraiment tort de ne pas s’y pencher un peu plus dans le détail.
 
Évidement, tout cela se concrétisera en live dès ce mois de mai et tout cet automne avec une tournée qui mènera Eiffel aux quatre coins de l’Hexagone. Quant à la note, elle sera à la hauteur de l’exclusivité que je réserve au seul groupe de rock français qui trouve grâce à mes oreilles (ne soyez pas trop durs avec moi amis lecteurs fana de francophonie, je pense que l’écoute attentive de ce petit bijou vous amènera à m’accorder votre clémence). Et toujours Inferno telegraph to the Hype !

La Note : 10/10

A écouter d’office : Big Data, Manchurian Candidate, Miragine, Chocho

Eiffel en tournée : ici

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