interview

À l’occasion d’une magnifique illustration de son titre “L’horizon est restreint” réalisée par Guillaume MAZEL, Catherine WATINE nous a fait découvrir l’univers flamboyant de cet artiste. Cela nous a donné envie de lui poser quelques questions.

Décider d’être ou essayer d’être artiste, du fait d’une sensibilité particulière, d’un héritage familial héritage ou d’une rébellion contre cet héritage… Dans ton cas, qu’est-ce qui t’a amené à dessiner ou écrire ?

Je crois que tout se fait inconsciemment sur les bancs d’écoles, sans s’en rendre compte on passe des dessins sur le cahier à des lignes de chiffres et des fleuves et grands conquérants, on oublie le gribouillis dans les incessants monologues linéaux de certains profs. J’ai sûrement raté ce pas en continuant à crayonner dans les marges des leçons, oui, ça faisait brouillon, mais ça m’ouvrait le monde.

Après viennent les bons professeurs qui vous enseignent l’art de l’accident, ceux qui lisent vos rédactions, bien sûr il y a de l’héritage, ma mère est une très bonne peintre, et puis sans doute une rébellion, mais si je savais laquelle, j’aurais arrêté de dessiner ou d’écrire. Ensuite on suit le cours des choses illogiques, Beaux-arts, et puis d’un coup Madrid…. On dérive tous par-ci par-là.

L’étrange, c’est que j’ai toujours été plus musique que dessin ou écrits, en somme un musicien frustré qui se venge par le dessin.

Tu es originaire d’un village du Tarn, tu as étudié a Toulouse, maintenant Madrid, demain qui sait…Qu’est-ce qui te pousse aux départs et destinées ? Qu’a Madrid plus que les autres villes n’ont pas pour un artiste ?

Qu’avait Madrid, malheureusement, Madrid au début des années 90 était une ville bouillonnante, pleine de possibilités artistiques, une ville en insomnie incessante, illuminée, anormale et amorale, depuis les crises sont passées et Madrid est devenue si européenne qu’elle n’en sourit plus.

Je me souviens de mon étonnement en arrivant, de voir que tout le monde me parlait, même si je ne comprenais rien au castillan, désormais les gens ont le front bas. J’ai profité de l’ébullition quelques années, publiant des dessins pour des journaux et cherchant l’idéal de la vie de bohème. Madrid m’a dévoré, et puis éteint, j’ai passé beaucoup d’années sans dessiner, écrivant parfois, mais sans goût.

En fait je suis revenu au dessin en passant par l’écriture, j’ai commencé à écrire des chroniques musicales pour plusieurs web, des programmes radio, au bout d’un moment, les sensations que me donnaient les artistes s’élevaient plus haut que les mots, j’ai repris les crayons.

Madrid est une étape de vie, quelques années de vides à remplir peut être ailleurs, Madrid n’est nulle part ailleurs et moi il me semble être de partout, je suis né à Albi, j’ai grandi à Graulhet, étudié a Toulouse et travaille a Madrid, c’est le meilleur des apprentissages, l’enfance en campagne, la jeunesse dans les villes et la maturité dans les capitales.

Comment définirais-tu tes travaux, comment expliquerais-tu tes dessins ?

Il y a une masse dense d’influences, petit j’adorais Gustave Doré, puis les héros de Marvel, après viennent les Piranèse, les classiques italiens, Géricault, Delacroix, Goya, les symbolistes, Egon, Mucha, Hopper, Escher, Giger, Ernst, Hammershoï, les peintres japonais, les anatomistes du XVIII º Siècle (Vésale), et j’en passe sans doute, suivant l’humeur je suis d’ici ou de là, ce monde est fantastique tant il a des maestros. Je suis rejeton de tous.

Je suis un dessinateur de précision brouillée, je ne m’estime pas assez talentueux pour de l’hyperréalisme et pas assez penseur pour de l’abstrait, mes dessins sont parfois des journaux intimes où je pose les détails de mes journées, mais je tends désormais plus vers le portrait, des collages de traits pour dépeindre l’âme des élus, je ne cherche pas la perfection (je n’en suis pas capable), mais plutôt le fond. Je suis dessinateur, pas peintre, je n’arrive pas à dompter les couleurs mais arrive parfois à ce que le noir et blanc soient une palette entière de couleurs.

Tant il est vrai que je suis assez sombre et cherche l’inquiétude et parfois la plaie, à vrai dire, dans l’art, le plus facile est la détresse, j’admire ceux qui savent peindre le bonheur, il est plus aisé d’être romantique que d’être hippie. Mes dessins sont donc des accumulations de détails, un besoin maladif de remplir la feuille que j’essaie de corriger depuis peu, en épurant et en laissant des espaces pour que les yeux respirent. Les portraits que je fais sont non seulement le personnage, mais son vécu, ses démons et anges, ses manies, ses amours.

C’est pareil quand j’écris, j’ai l’impression que si je n’écris pas tout, mon crâne va exploser, je ne sors jamais sans la plume et le carnet, et mes textes sont surchargés de mots, de métaphores. Dire aussi que rien de ce que je fais ne serait possible sans musique, pour vivre il faut l’Âme, la chair, et l’air fredonné… Je m’étale trop, peut-être ?

Dernièrement tes dessins prennent une ampleur nouvelle, tes portraits attirent, c’est le pouvoir des réseaux sociaux aussi, à quoi doit-on ton nouvel élan ?

Oui, c’est vrai, je suis sur tous les fronts, à mon humble niveau, je me suis à nouveau passionné pour le dessin, j’ai repris le goût, et les réseaux sociaux m’ont ouvert au public.

On peut dire ce qu’on veut, mais se sentir apprécié artistiquement motive énormément. Mon travail alimentaire est celui de libraire, 55 heures par semaine m’empêchent aussi de me livrer à l’art. Je suis peu dormeur par chance et dessine de nuit, un vieil hibou.

Je dois avouer que le confinement m’a soulevé, tout ce temps enfermé m’a permis de m’asseoir intensément à ma table à dessin et de produire non-stop, d’avancer, d’expérimenter, mais aussi m’a offert le temps de m’occuper des réseaux, mécènes du futur, qui, bien employés, offrent l’infini aux créateurs. J’ai eu le temps de me faire de la publicité, de croiser des contacts.

Quand je faisais des chroniques musicales (je parle au passé mais ne ferme pas cette porte), j’aimais penser que je donnais un coup de pouce à des talents latents, à mon petit niveau humain, ils me donnaient la chair de poule, j’adore chacun d’eux, et je me suis retrouvé comme eux, aidé du coup de pouce de bonnes âmes, tout ça m’a motivé, depuis tout s’est enchaîné, ma participation au livre d’Art « Regards », un dessin sur « Anthem » de Leonard Cohen qui sera aussi inséré dans un livre disque hommage, des artworks pour disques, commandes de portraits, expositions… et j’ai de plus en plus envie de dessiner, ce qui m’a fait laisser de côté les écrits.

Comme dirait Yves Simon, « Qu’est-ce que sera demain » ?

Beaucoup et intense je l’espère, au plus proche je travaille sur une série de portraits sur les Guillaume célèbres qui seront exposés à la Galerie Wilko à Madrid, une vingtaine de portraits et de dessins en rapport avec ce prénom (pas seulement des célébrités, mais aussi des chansons mises en images etc.…) donc la main travaille à fond ce que le cerveau invente, et puis me plonger un peu plus dans les portraits de mes idoles, mais je dois être incessamment en train de me chercher, je ne sais ce que sera demain, si ce sera Madrid, Paris ou le ciel, j’ai comme tout le monde besoin de croitre, de trouver le lieu parfait pour être lumière, je crois simplement que j’ai besoin d’être moi, vraiment, de me lever le matin, me poser a la table à dessin et dire, « Ça, c’est ma vie ».

J’aimerai nouer mes passions en un seul mode de création, musique mots et traits, travailler pour des chanteurs, je ne sais pas, je suis vraiment comme un gamin sur sa table d’école, avide de tout savoir en dessinant dans les marges. J’ai des projets, certains fous, mais sans projets a quoi bon mettre un pied devant l’autre.

Dernière question, si forte est la musique en toi ?

Je ne sais dessiner sans musique, je ne sais sortir dehors sans mes écouteurs, je l’ai dit, je suis un musicien frustré, ce qui me fait admirer ceux qui le sont. Je suis fan de Manset, Brel, Bashung, Editors, Depeche mode, Springsteen, Dominique A, War on drugs, je mélange genres, je mélange types, j’écoute tout ce qui me tombe dans les mains (sauf la musique latine qui me laisse stérilement insipide) au matin Bowie, au soir Rammstein, diner Nick Cave souper Luz Casals, apéro Alicia Keys et ivresse Tom Waits, sieste Miles Davis et puis j’aime les petits orfevres Obel, Angel Olsen, Watine, Kiwanuka, Volcano Choir, Betsch, Sakamoto ….

En fait, je marche à la chair de poule, si la musique me touche, m’émeut ou me fâche, elle sera dans la playlist de ma vie, mention spéciale pour Marc Seberg, ad vitam aeternam. La musique est un maitre nageur sauveteur dans la marée humaine.

(©illustrations : Guillaume Mazel)

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