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HIGELIN (mon père de rock) Partie 1 – « Paris-New York New York-Paris / Comme un pauvre con tout seul à Orly / J’attends ma p’tite Suzy / Qu’arrive par le Boeing de quinze heures trente-trois / Tout droit du Minnesota… » Ça fait trente ans que j’ai ce morceau là dans la tête. Ouais tu sais, le genre de morceau qui nous arrive de fredonner quand on est content, j’ sais pas. Par exemple, quand on bricole un truc ou bien, au volant de sa voiture. On a tous un morceau de musique qui nous revient de façon perpétuelle, sans qu’on sache pourquoi, toujours le même qui revient, qui nous suit, qui nous accompagne. Parfois c’est peut-être même une chanson dont on n’oserait même pas se vanter, un morceau pourri, mais c’est toujours celui-là qui revient. Je ne sais pas pour toi, mais en ce qui me concerne, c’est ce titre de Jacques Higelin « Paris-New York NY-Paris » que je fredonne régulièrement depuis tout ce temps et, je ne m’en lasse pas.(1er Octobre 2016 – par Vincent)

HIGELIN 75

Cette année, Higelin à 75 ans. Dans quelques jours, sortira son nouvel album intitulé Higelin 75 ainsi qu’un recueil de textes inédits, Flâner entre les intervalles. J’ai commandé ces deux objets que j’attends avec impatience et, dans cette attente, je ne cesse de penser à ce que représente Jacques Higelin pour moi.

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Cela fait trente ans que j’écoute sa musique et ses paroles. Il est mon père de rock français, celui avec qui je me suis initié au rock avec des paroles que je comprenais et, qui plus est, m’a ouvert à une sensibilité aux mots, à la poésie. À commencer par l’album bbh75 (chiffre très symbolique décidemment) qui débutait le contenu d’une des deux cassettes C90 que l’on m’avait prêté. Ces cassettes audio contenaient également les albums Irradié, Alertez les bébés !, No man’s land et Champagne pour tout le monde, ce qui représentait presque l’intégralité de sa période rock. Comme il n’y avait rien d’écrit sur les cassettes, je ne connaissais pas les titres et j’étais incapable de savoir où commençait et où finissait un album. J’écoutais le tout comme s’il s’agissait d’un seul disque.

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De BBH75 à Champagne…
Ça commençait donc par bbh75 et le titre « Paris-New York… » Qui fut une claque dès la première écoute. Je savais d’emblée que j’allais aimer. Les mots explosent comme des bombes. Le rock a des sonorités agressives, des rythmiques ardentes et groovy sur « Mona Lisa Klaxon » et le titre coup de poing « Est-ce que ma guitare est un fusil ? ». « Chaud, Chaud, Bizness Show » et « Boxon » avec leurs riffs binaires tout droits sortis d’une guitare overdrivée genre bien musclée. Je craque complètement sur « Oesophage-boogie, cardiac’ blues ». Higelin joue avec les mots et les sons, il gueule, éructe, recrache ses textes, les façonne, les modèle. Il se passe quelque chose dans l’histoire du rock français, il vient de défoncer une porte qui laissera entrer bien des chanteurs et des groupes derrière lui. En écoutant cet album, je lisais parfois des BD « Lucien » de Franck Margerin. Dans ma tête de jeune ado, voilà comment j’imaginais le monde de Jacques Higelin. Des rockers en Perfecto, un peu zonards, en train de jouer au Flipper dans des bistrots, frimant sur leur bécane…mais super attachants, ça devait être un peu ça entre 1974 et 1979, du moins je pense qu’Higelin et ses acolytes ont réussi à intégrer dans le rock français des inspirations de rock anglo-saxon et américain qui firent pour l’époque un souffle nouveau au rock hexagonal. Un genre de rock viscéral, brut, sauvage, du pré-punk, qui fût relayé par Téléphone et consort. D’ailleurs, à cette époque Louis Bertignac joue avec Higelin juste avant de fonder Téléphone.

L’album ne connut pas un grand succès à sa sortie, par contre, les concerts attirèrent de plus en plus de monde tout au long de la tournée. Il faut dire qu’Higelin n’est pas un jeune premier en matière de contact avec le public. À la sortie de « bbh75 », il a 35 ans et depuis le milieu des années 60, il côtoie le monde de la chanson, du spectacle et de la comédie. Il rencontre Areski Belkacem et Brigitte Fontaine avec qui il crée des chansons que l’on qualifie à l’époque de « rive gauche » proche de l’underground et des spectacles expérimentaux post-68. Il s’immerge complètement dans un mode de vie communautaire et a des allures de baba cool. Mais sûrement avec la sensation de végéter dans un style qui s’essouffle, il revient en 1974, cheveux courts, avec ce rock décapant qui le conduira petit à petit à l’immense artiste qu’il est.

Quelques mois après bbh75 sort le génial Irradié, dans la continuité rock entamé, même sons de guitare bien lourds, des textes rageurs, certains à l’humour déjanté et surréaliste, de l’amour, de l’espoir, de la combativité (« le courage de vivre »), de la tendresse (« ballade pour un matin »)… J’étais complètement accro de cette musique et je trouvais les textes géniaux. C’est la première fois que j’écoutais des paroles de chanson, ça racontait des histoires de rockers, des trucs à la fois complètement rigolo ou bien carrément sérieux, mais ce qui me plaisait en particulier c’est que ça parlait d’émotions, de sentiments, qu’ils soient bons ou mauvais, je comprenais, je transposais, je me laissai transporté par le rythme, les phrases, les jeux de mots, etc. J’adoptai la poésie d’Higelin qui créait une sensibilité en moi.

En 1976 sort Alertez les bébés !. Le rock s’y adoucit et le succès populaire devient de plus en plus considérable. Higelin change de musiciens. On s’éloigne du côté garage-band/ power-trio pour se retrouver avec des morceaux aux multiples influences. Tout en conservant le rock énergique avec  « Le minimum », « Géant Jones », on y trouve de la country sur-vitaminée dans « Je veux cette fille » (morceau avec une structure de dingue et des breaks irrésistibles.), de la folk sur « J’suis qu’un grain de poussière » et « La rousse au chocolat » avec son introduction à l’accordéon que je trouve magique. Je suis de plus en plus attiré par les ambiances musicales et les textes. « J’suis qu’un grain de poussière » me fascine par son côté poétique qui nous montre que nous sommes à la fois tout et rien, infiniment petit ou grand. J’ai aussi l’impression que les morceaux sont presque joués en live, ce qui donne une proximité au monde d’Higelin et c’est effectivement le cas car « Coup de blues » a été enregistré dans une cuisine, les musiciens assis en rond. L’immense « Alertez les bébés ! » est une progrest-song entièrement jouée au piano en une seule prise. Higelin a posé le texte qu’il avait écrit la nuit même, a demandé à l’ingé son de laisser tourner les bandes. L’inspiration étant là, il a tout improvisé d’une seule traite. Et quel morceau ! J’ai été marqué par ce titre, par l’énergie qu’il dégage, l’intensité, l’urgence, ce cri d’alarme mettant en garde l’innocence et la pureté d’un enfant face à la folie, la perversité, l’égoïsme de l’être humain adulte ; l’homme est un loup pour l’homme.

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En 1978, sort No man’s land. C’est un peu l’album du doute pour Higelin qui cherche à se renouveler… C’est le syndrome de la page blanche. Nous sommes en pleine période Punk en France et dans le monde. Higelin qui avait été un précurseur du mouvement avec bbh75 a sûrement dû être attendu par sa maison de disque. Hors « No man’s land » ne contient rien qui se rapproche du Punk-rock si ce n’est peut-être le titre « Denise ». Il doute tellement de cet album qu’il est presque sur le point de ne pas le sortir. Convaincu par un ami, « No man’s land » sort et c’est un véritable succès. La transition est bien là, les morceaux sont plus complexes, plus variés. Le rock des origines s’étend vers la pop, l’électro, la prog, surtout dans la deuxième partie de l’album. Je me revois tôt le matin avant de partir pour le collège, j’écoutais en boucle les intros à l’accordéon sur « Pars » et « Un aviateur dans un ascenseur ». Je retrouvais le côté rock que j’adorais sur « Banlieue boogie blues », les excellents « Denise » et « Lettre à la p’tite amie de l’ennemi public n°1 » (inspiré par Mesrine.). « Les Robots », c’est un peu une curiosité, le morceau New-Wave de Jacques Higelin. L’album, se finit par le progressif « L’amour sans savoir ce que c’est », une pure pièce de poésie, d’espoir sans pudeur, brandissant l’amour de la vie et de la liberté.

Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres…, deux albums qui sortent en 1979. À la fois un double album et deux albums bien distincts pour Jacques Higelin qui termine ainsi sa période rock. Bizarrement, c’est Caviar pour les autres…  qui sort en premier. Erreur de la maison de disque ou fantaisie d’Higelin ? Champagne…  sortira peu après avec une pochette un peu plus grande permettant d’accueillir « Caviar… « . Bref, à mon sens, nous avons affaire ici au meilleur d’Higelin. Si tu ne connais pas et que tu veux découvrir l’artiste, voici par quoi, il faut que tu commences. Il est au sommet de son Art. on y retrouve bien sûr du rock avec « Mama Nouvelle Orléans », « Avec la rage en d’dans », « Beau beau ou laid », « Rappelle-moi » et le punk rock « Trois tonnes de T.N.T ». Ça dépote plus que jamais, le rock d’Higelin n’a pas pris une ride, l’énergie, la rage, les mots coup de poing, tout y est. L’album introduit et trace le chemin pour la suite de la carrière du chanteur rêveur, optimiste, baladin. Des titres truffés de fantaisie et d’humour. Le « Champagne » tout droit sorti d’outre-tombe et qui aurai surement plu à la Famille Adams, « Tête en l’air » un hymne à la joie et la légèreté, le délirant « Dans mon aéroplane blindé » avec sa fin référence au Petit Prince, le joyeux « Ah là la quelle vie qu’cette vie », le vaudevillesque « L’attentat à la pudeur » qui est à mourir de rire. Et il y a le Higelin, tendre, poétique, sensible avec le léger « Vague à l’âme », le grave et touchant « Ci-gît une star », le planant « On a rainy Sunday afternoon » et le magnifique « Je ne peux plus dire je t’aime ».

Voilà comment j’ai découvert Jacques Higelin. Lui qui m’a amené au rock français mais aussi à apprendre à écouter des textes, à ressentir des émotions au travers de chansons. Higelin c’est une bouffée d’énergie positive et d’optimisme. Ce qui me plait aussi dans ses albums, c’est la façon dont Higelin a la capacité de remplir le vide, c’est à dire cette faculté d’apporter des ambiances qui créent une proximité avec les morceaux et te font entrer dans la chanson. Par exemple, les oiseaux qui piaillent et le clocher de l’église lointaine au début de « Ballade pour un matin » ; la voiture qui démarre sur « Denise » ; les bruits d’un quai de gare sur  « La rousse au chocolat » et « Entre deux gares »» ; la pluie qui tombe sur « Coup de blues » et « On a rainy Sunday afternoon », le passage d’un Concorde sur « Vague à l’âme »… tout cela fait voyager l’esprit. La notion de voyage se retrouve souvent chez Higelin, le côté rêveur, voyageur immobile comme il le dit si bien. On retrouve d’ailleurs souvent dans ses chansons des allusions aux gares ou à l’aviation.

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Peu de temps après avoir découvert Higelin, j’ai vu un film rare diffusé assez tard à la télé et dans lequel Higelin joue le rôle d’un rocker en mal d’orchestre et de concerts. Il s’agit de « La bande du Rex ». Un film de 1979 qui raconte la vie d’une bande de jeunes habitants en banlieue. Leur quartier général c’est le café « La Javanaise » et leur idole n’est autre que le projectionniste du cinéma voisin, Frankie Mégalo (Jacques Higelin), rocker le week-end. Face à l’ennui et l’échec social, les « crans d’arrêt », comme les nomme Frankie, décident de partir sur la côte et cela ne se passera aussi bien que prévu. Le rôle d’Higelin et l’ambiance du film colle parfaitement avec l’image que je m’étais fait du monde des chansons de sa période Rock. La musique de ce film a été composée par Higelin et dans le film, il interprète « Mon portrait dans la glace » issu de « Irradié » et « Beau, beau ou laid » de « Caviar…  » ; il est accompagné par le groupe punk Strychnine.

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Aujourd’hui, Jacques Higelin est sur le point de sortir un nouvel album, « Higelin 75 », du haut de ses 75 ans et 50 ans de carrière… Je te donne rendez-vous prochainement pour parler de cet album (sortie le 7 Octobre) et de l’univers Higelin. (À suivre !)
(Reportage réalisé par Vincent)

(Audio – Jacques Higelin – L’emploi du temps)

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